mardi 10 novembre 1998
Le collège Stéphane Mallarmé a succédé en 1971 au lycée du même nom dans un ensemble architectural qui abrita jusqu'à la Révolution, l'ancien couvent des Célestins.
C'est dire que notre établissement se trouve le dépositaire d'une longue et féconde tradition. Celle-ci, non seulement nous a légué ces vénérables bâtiments où étudièrent naguère le Baron Thénard ou bien Stéphane Mallarmé mais nous relie à une immense chaîne humaine où se sont succédées des générations de Sénonais depuis ce 12 juin 1537 où Philippe Hodoard fonda le premier collège « pour les jeunes et petits enfants étudiant en la ville de Sens ».
A l'heure où l'étude de la notion de patrimoine figure au programme d'éducation civique en classe de sixième, il convient de sensibiliser nos élèves à la richesse, à l'intérêt du patrimoine architectural et humain de leur collège.
L'oubli déplorait Bossuet, est « le second linceul des morts ». A l'heure où s'éteignent les derniers survivants, où s'étiole la participation aux cérémonies du Souvenir où, en un mot, le 11 Novembre se mue en un banal jour férié comme tant d'autres, il est bon que l'école assume son devoir de mémoire. Aussi, en 1994, avons-nous estimé utile de convier chaque année nos élèves des classes de troisième à une petite commémoration. Cet hommage auquel participent le personnel d'administration, l'équipe éducative, l'Association des anciens élèves du lycée de Sens et les associations d'anciens combattants et de résistants, se veut avant tout l'occasion d'une réflexion. Grâce à l'actif soutien de la presse, elle rencontre un écho grandissant et suscite une correspondance et une recherche qui se prolongent sur l'ensemble de l'année scolaire.
Il n'est pas de commémoration sans un « rituel ». Le nôtre consiste essentiellement en lectures effectuées par les élèves. Afin de mieux faire prendre conscience qu'à ces 225 noms gravés dans le marbre correspondent 225 destins brisés par la guerre, chaque année, nous rappelons plus particulièrement le souvenir d'un de ces « poilus ».
Dessin de Pierre Baudry, ancien élève du lycée Stéphane Mallarmé, réalisé en mai 1918
Commémoration de la Guerre de 14-18 au Collège Stéphane Mallarmé de Sens |
(54 minutes) 15 novembre 2003© Stolliahc |
interview de M Daniel. Lobreau, Mme Frédérique Poullet (enseignants au collège Mallarmé) présentation Jean-Louis Péchiné et Raoul Klein [de Radio Stolliahc] |
Le thème de cette année a été dicté par la découverte dans les greniers du collège, de deux plaques commémoratives portant les noms d'Adrien Loury et de Marcel Michelin. De 1920 à 1923, chacune des vingt-trois salles du lycée a été dédiée à une des victimes de la Grande Guerre qui s'est particulièrement illustrée ou bien, pour trois d'entre elles, à deux frères tués. La plaque était accompagnée de la photographie du héros, de ses états de service et un porte-bouquet en fonte dont les fleurs étaient constamment renouvelées par les élèves. Trois plaques ont survécu aux travaux de rénovation. Une seule était restée en place, celle qui rappelle le sacrifice du caporal André Prudhomme. Les deux autres portant les noms du capitaine Adrien Loury et du lieutenant Marcel Michelin, viennent d'être retrouvées; elles avaient été inaugurées le 13 juillet 1923 par le président d'honneur de l'Association amicale des anciens élèves, le général Emile Belin, proche collaborateur du général Joffre. Après restauration, elles seront apposées le 10 novembre prochain dans deux salles d'histoire-géographie.
Adrien LOURY
Né le 22 mai 1871 à Saint-Fargeau [Yonne], capitaine au 27e régiment d'infanterie, adjoint au colonel, tombé au champ d'honneur le 20 août 1914 à Dolving près de Sarrebourg [Moselle].
Entré au service à l'école militaire de Saint-Cyr le 28 octobre 1889, Adrien Loury devint sous-lieutenant le ler octobre 1891 puis lieutenant le ler octobre 1893 et capitaine le 30 mars 1904.
Le 27e RI participa à partir du 14 août, au sein de la première armée du général Dubail, à l'offensive en Lorraine. Dès le combat de Saint-Georges, le 17 août, le capitaine Loury se distingua par sa bravoure et son allant, accomplissant sans relâche de périlleuses missions de transmission d'ordres et de recherche de renseignements. Le 20 août, il trouva la mort au nord de Sarrebourg tué ainsi que tous les autres adjoints du colonel, par un obus de gros calibre. Le capitaine Adrien Loury, cité à l'ordre de la première armée le 5 août 1915, a été nommé chevalier de la légion d'honneur le 17 avril 1920.
Marcel MICHELIN
Né à Paris le 25 octobre 1888, lieutenant commandant la 10e compagnie du 149e régiment d'infanterie, tombé au champ d'honneur le 21 août 1914 à Abreschwiller [Moselle].
Entré au service à l'école militaire de Saint-Cyr le 7 octobre 1909, Marcel Michelin devint sous-lieutenant le 1 er octobre 1911 puis lieutenant le 1 er octobre 1913.
Le 21 août 1914, alors que l'armée allemande passait à la contre-offensive dans la région de Sarrebourg, le lieutenant Marcel Michelin fut chargé de tenir à tout prix une position de repli en avant du village d'Abreschwiller afin de couvrir la retraite de son bataillon. Attaqué par des forces très supérieures en nombre, il remplit totalement cette mission de sacrifice et trouva la mort alors qu'il donnait ses ordres debout pour être mieux entendu de ses soldats. Le lieutenant Marcel Michelin cité à l'ordre de la dixième armée le 11 janvier 1915, a été nommé chevalier de la légion d'honneur le 18 octobre 1919.
La cérémonie sera doublée d'une exposition réalisée par le service éducatif des Archives départementales de l'Yonne :
« 4 années d'effort - L'Yonne pendant la Grande Guerre. »
Nous serons heureux de recueillir tout témoignage d'ancien élève concernant les plaques commémoratives du lycée Mallarmé et les hommages qui leur étaient rendus entre les deux guerres ou bien, ayant trait aux visites du général Belin et à sa conférence sur la bataille de la Marne.
Contactez le collège par courrier ou par e-mail. Merci.
Un appel a été lancé également pour participer à la Rénovation du Mémorial du Collège.
Poème composé par Henri Dussauze
Nos précédentes commémorations.
Afin de mieux faire prendre conscience qu'à ces 225 noms gravés dans le marbre correspondent 225 destins brisés par la guerre, chaque année, nous rappelons plus particulièrement le souvenir d'un de ces « poilus ».
En 1994, hommage au capitaine Aristide Bruant.
Ainsi avons-nous évoqué en 1994 le capitaine Aristide BRUANT, fils du célèbre chansonnier, lui-même poète et membre de la Société des Gens de Lettres. Ce militaire de carrière, né en 1883, ancien saint-cyrien, se distingua par sa bravoure légendaire. Quatre fois blessé, décoré de la croix de guerre avec palme et de la légion d'honneur, il trouva la mort à la tête de ses hommes le 16 avril 1917, au cours de l'offensive désastreuse du Chemin des Dames.
En 1995, hommage à l'adjudant Pierre Longuet.
En 1995, fut tiré de l'oubli l'adjudant Pierre LONGUET né à Sens le 8 décembre 1893, tombé au champ d'honneur le 25 septembre 1916 au cours de la bataille de la Somme. Cet instituteur nous a semblé représentatif de tous ces jeunes Français qui, ayant suivi des études secondaires ou supérieures, avaient la charge d'encadrer l'armée. Ces sous-officiers, placés à l'avant de leurs hommes ont payé un tribut particulièrement lourd. Parmi eux Charles Péguy, Louis Pergaud, Alain Foumier, et tant d'autres... Mobilisé comme sergent et promu adjudant en juillet 1916, Pierre Longuet fut blessé à deux reprises en janvier 1915 et en mars 1916. Il devait trouver la mort au cours d'une action héroïque : le 25 septembre 1916. Alors que sa compagnie partie à l'assaut d'un village qui servait de point d'appui aux Allemands, était tenue en échec et subissait de lourdes pertes, il se porta volontaire pour conduire une attaque de nuit. Il fut tué à l'entrée du village mais l'opération réussit et permit de faire 42 prisonniers.
En 1996, hommage à un « poilu » de vingt ans : Pierre Baudry.
En 1996, c'est avec une ferveur toute particulière que nous avons rendu hommage à un « poilu » de vingt ans, Pierre BAUDRY . Né à Sens le 26 avril 1897, ce jeune bachelier en philosophie qui se destinait à l'Ecole des Beaux-Arts, devança l'appel en juin 1915 et vécut la dure existence des tranchées jusqu'à sa mort, le 29 mai 1918, sur le plateau de Crécy-au-Mont. La vie précaire et inhumaine du front ne lui fit pas oublier ses passions d'adolescent : dessin, peinture et poésie. Son oeuvre réalisée au front, témoigne d'un réél talent. Le 30 mars 1916, Pierre Baudry fonda avec quelques camarades, un journal tirant à 550 exemplaires: le Gafouilleur, organe des moulins à café. Cette modeste feuille de quatre à huit pages multigraphiées paraissait régulièrement tous les quinze jours. Sous des dehors satiriques, le Gafouilleur constitué surtout des dessins et des poèmes de Pierre Baudry, était en réalité une véritable petite revue littéraire qui disparut avec son rédacteur.
La « Grande guerre » a tué plus d'un quart des Français de 18 à 27 ans. Parmi ces jeunes sacrifiés, un étudiant sénonais: Pierre Baudry. Né à Sens le 26 avril 1897, il venait d'obtenir son baccalauréat de philosophie et se destinait à l'école des Beaux-Arts quand la guerre éclata. Il s'offrit spontanément comme brancardier et infirmier à l'hôpital ouvert à Sens par la Croix-Rouge dès le mois d'août 1914. Il s'y dévoua plusieurs mois et, le 25 juin 1915, devançant l'appel, il s'engagea au 7e dragon. En novembre, après quatre mois d'instruction, il découvrait la vie des tranchées. Le 12 juin 1916, il passa au 12e régiment de cuirassiers à pied. Dès lors, son existence s'écoula en périodes alternées de 12 jours de tranchées et 12 jours de repos tantôt sur les fronts de Champagne, au fort de la Pompelle par exemple, tantôt en Picardie. Il fut tué le 29 mai 1918 sur le plateau de Crécy-au-Mont dans le département de l'Aisne lors d'une des offensives de la dernière chance tentées par l'armée allemande.
La vie précaire et inhumaine du front ne lui faisaient pas oublier ses passions d'adolescent. Le dessin et la peinture d'abord. Il réalisa de nombreuses aquarelles, des croquis, des dessins à la plume et profitait de toutes les circonstances, y compris la garde aux créneaux, pour se former à sa future carrière d'artiste. Pierre Baudry sacrifiait également à la poésie. Le 30 mars 1916, il fonda avec quelques camarades un journal tirant à 550 exemplaires : le Gafouilleur, organe des moulins à café. Cette modeste feuille de quatre à huit pages multigraphiées appartenait donc à cette presse des tranchées qui se développa dès la fin de 1915 et dont on a recensé près de 400 titres souvent de circonstance : l'Echo des Gourbis, le Rire aux Eclats, le Vide-Boche, le Zimboumpanvlan ... Sous des dehors satiriques, le Gafouilleur constitué surtout des dessins et des poèmes de Pierre Baudry, était en réalité une véritable petite revue littéraire paraissant régulièrement tous les quinze jours. Il disparut avec son rédacteur.
Parfois, les travaux de terrassement ou les obus mettaient à jour un site archéologique et, aussitôt, le passionné d'histoire, membre de la Société archéologique de Sens se mettait à l'oeuvre. En 1917, il adressa même à ses collègues sénonais un mémoire intitulé Impressions d'un combattant devant la Cathédrale de Reims décrivant l'état du monument martyr. Cette activité débordante lui laissait encore le temps d'organiser des spectacles dont il écrivait les pièces et peignait les décors.
Pierre Baudry, « soldat d'élite au-dessus de tout éloge, aussi bien par ses vertus militaires que par ses vertus morales... » méritait à plus d'un titre d'être tiré de l'oubli.
Une petite exposition lui sera consacrée au Centre de documentation du collège à partir du 8 novembre. Au cours de la cérémonie, son souvenir sera évoqué et deux de ses textes lus par des élèves.
En 1997, hommage à deux aviateurs : Jean et Etienne Barbier.
En 1997, fut souligné le rôle déterminant durant la Grande Guerre, des « merveilleux fous volants ». Négligée au début du conflit, l'aviation, constatera en 1917 le général Pétain, « a pris une importance capitale : elle est devenue un des facteurs indispensables du succès [... ]. Il faut être maître de l'air. » Nous avons ainsi évoqué la tragique disparition de deux frères, Jean et Etienne BARBIER , tous deux morts accidentellement, en 1917, à douze jours d'intervalle lors de vols d'entraînement.
« L'aviation c'est de la blague! » aurait affirmé le général Foch en 1910... De fait depuis le premier vol effectué par Clément Ader en 1890, la conquête de l'air n'avait été qu'un sport réservé aux « merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines ». Pourtant, le 3 septembre l9l4, alors que la cavalerie, jusqu'alors reine des batailles battait en retraite, impuissante, désespérée, ce sont des avions de reconnaissance Farman qui détectèrent la modification du plan de marche de la Ire armée allemande et permirent d'envisager une contre-attaque sur la Marne. Les jours précédents, des avions allemands Tauben avaient jeté sur Paris quelques bombes de trois kilos. Avec cette nouvelle arme, la guerre gagnait la troisième dimension: « L'aviation, constatera en 1917, le général Pétain, a pris une importance capitale : elle est devenue un des facteurs indispensables du succès [...] Il faut être maître de l'air. »
Le parcours militaire des frères Barbier, tous deux anciens élèves du lycée de Sens, illustre bien cette évolution de la Grande Guerre :
Jean Barbier né le 24 avril 1896 à Avallon, élève de l'Institut national agronomique s'engagea le 2 janvier 1915 dans l'artillerie. Nommé aspirant puis sous-lieutenant, il fit preuve d'un courage et d'un sang-froid remarquables comme observateur d'artillerie et agent de liaison avec l'infanterie. Le 30 avril 1917, il fut évacué du front pour raisons de santé et versé dans l'aviation le 15 août. Un mois plus tard, il obtenait son brevet de pilote. Le 25 novembre, cinq jours après son arrivée à l'école d'aviation de Pau, il se tua aux commandes de son avion Neuport, au cours d'un vol périlleux sans visibilité. Le 26 juillet 1920, il fut nommé à titre posthume, chevalier de la Légion d'honneur : « Officier énergique et intrépide, nature d'élite, hanté par l'esprit de sacrifice. A fait l'admiration de tous par sa belle attitude comme officier de batterie. Mort pour la France au champ d'aviation de Pau au cours d'un vol qu'il avait entrepris, malgré les circonstances périlleuses, pour hâter l'heure de son retour aux armées. A été cité. »
Etienne Barbier né le 4 avril 1892 à Avallon, ancien élève de l'école forestière de Nancy, commença la guerre comme maréchal des logis dans un régiment de dragons. Il s'intéressa rapidement à l'aviation et effectua de nombreuses heures de vol comme passager pour des missions d'observation au dessus des lignes ennemies. Le 31 août 1916, il obtint son détachement dans l'aviation. Dès le début, le jeune pilote se signala par sa grande compétence. Breveté fin octobre 1916, ses compétences le firent nommer dès le 11 novembre, moniteur à l'école d'aviation d'Etampes. Douze jours après son frère cadet, il trouva une mort accidentelle le 6 décembre 1917, alors qu'il venait de demander sa mutation pour le front en qualité de pilote d'escadrille.
A la suite de ces deux drames, leur frère Henri, engagé à 17 ans comme observateur d'artillerie, fut ramené à l'arrière et rendu à ses parents.
A la suite du décès accidentel de Jean Barbier, le capitaine commandant l'Ecole d'acrobatie de Pau adressa à la famille le télégramme qui suit:
"Regrets et condoléances - L'accident arrivé à votre fils est du uniquement à un manque d'entraînement sur Nieuport - Des ordres urgents ayant été donnés, je suis obligé de faire voler par temps médiocres de tout jeunes pilotes - Il faut sortir une masse de pilotes - Les accidents sont devenus journaliers : 7 en 2 jours dont 5 tués et un amputé - Si je dois continuer dans de telles conditions, je demanderai à être relevé de mes fonctions - lorsque pas ce temps de brume, je suis obligé defaire sortir les élèves, je ne vis plus et j'attends à chaque instant que l'on m'apprenne un accident. D'ailleurs la rapidité d'exécution de mouvements n'est pas le nécessaire pour faire un pilote ; il faut un très long apprentissage permettant à l'élève d'exécuter sans aucune réflexion et automatiquement la manoeuvre nécessaire - D'un autre côté votre fils aurait très bien pu ne pas se tuer si la ceinture dont j'ai préconisé le modèle lui avait été mise sur son appareil ; le fuselage se brise en arrière du moteur; le pilote maintenu par la poitrine reste collé au siège non brisé - Malheureusement je n'ai que 100 ceintures pour 450 appareils. J'ai beau demander d'intensifier sa fabrication, je ne l'obtiens pas."
Archives de la famille
En 1919, l'écrivain Roland DORGELES concluait son roman Les Croix de Bois par cette invocation à ses camarades disparus au combat :
« Vous étiez si jeunes, si confiants, si forts, mes camarades: oh! non, vous n'auriez pas dû mourir... Une telle joie était en vous qu'elle dominait les pires épreuves. Dans la boue des relèves, sous l'écrasant labeur des corvées, devant la mort même, je vous ai entendu rire : jamais pleurer. Etait-ce votre âme, mes pauvres gars, que cette blague divine qui vous faisait plus forts ? Pour raconter votre longue misère, j'ai voulu rire aussi, rire de votre rire. Tout seul, dans un rêve taciturne, j'ai remis sac au dos, et, sans compagnon de route, j'ai suivi en songe votre régiment de fantômes. Reconnaîtrez-vous nos villages, nos tranchées, les boyaux que nous avons creusés, les croix que nous avons plantées ? Reconnaîtrez-vous votre joie, mes camarades ? C'était le bon temps... Oui, malgré tout, c'était le bon temps, puisqu'il vous voyait vivant... On a bien ri, au repos, entre deux marches accablantes, on a bien ri pour un peu de paille trouvée, une soupe chaude, on a bien ri pour un gourbi solide, on a bien ri pour une nuit de répit, une blague lancée, un brin de chanson... Un copain de moins, c'était vite oublié, et l'on riait quand même, mais leur souvenir, avec le temps, s'est creusé plus profond, comme un acide qui mord... Et maintenant, arrivé à la dernière étape, il me vient un remords d'avoir osé rire de vos peines, comme si j'avais taillé un pipeau dans le bois de vos croix. C'est vrai, on oubliera. Oh! je sais bien, c'est odieux, c'est cruel, mais pourquoi s'indigner : c'est humain... Oui, il y aura du bonheur, il y aura de la joie sans vous, car, tout pareil aux étangs transparents dont l'eau limpide dort sur un lit de bourbe, le coeur de l'homme filtre les souvenirs et ne garde que ceux des beaux jours. La douleur, les haines, les regrets éternels, tout cela est trop lourd, tout cela tombe au fond...
On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le coeur consolé de ceux qui l'aimaient tant. »
Le 22 août 1914, alors que son régiment vient de recevoir son baptême du feu, le caporal Jean GALTIER-BOISSIERE décrit admirablement dans son carnet le tumulte des émotions devant cette brutale révélation de la guerre telle quelle est :
« Soudain, des sifflements stridents qui se terminent en ricanements rageurs nous précipitent face contre terre, épouvantés. La rafale vient d'éclater au-dessus de nous... Les hommes, à genoux, recroquevillés, le sac sur la tête, tendant le dos, se soudent les uns aux autres... La tête sous le sac, je jette un coup d'oeil sur mes voisins : haletants, secoués de tremblements nerveux, la bouche contractée par un hideux rictus, tous claquent des dents ; leurs visages bouleversés par la terreur rappelle les grotesques gargouilles de Notre-Dame, dans cette bizarre posture de prosternation, les bras croisés sur la poitrine, la tête basse, ils ont l'air de suppliciés qui offrent leur nuque au bourreau... Cette attente de la mort est terrible. Combien de temps ce supplice va-t-il durer? Pourquoi ne nous déplaçons-nous pas? Allons-nous rester là, immobiles pour nous faire hacher sans utilité ?... A chaque rafale il y a un grand silence. On n'entend que les halètements précipités... « En avant un bond!... » Le lieutenant bondit, la section s'élance à sa suite... Certains, dans la course, ont jeté leur sac. Le caporal Rivet qui a perdu son képi me dit entre deux hoquets: « Ah ben! mon vieux, si j'avais pensé que c'était ça la guerre!... Si ça doit être tous les jours comme ça, j'aime mieux être tué tout de suite! »... Non, nous ne sommes pas des soldats de carton ! Mais notre premier contact avec la guerre a été une surprise assez rude. Dans leur riante insouciance, la plupart de mes camarades n'avaient jarnais réfléchi aux horreurs de la guerre. Ils ne voyaient la bataille qu'à travers des chromos patriotiques. Depuis notre départ de Paris, le Bulletin des Armées nous entretenait dans la béate illusion de la guerre à la papa. Tous nous croyions l'histoire des Alboches qui se rendaient pour une tartine. Persuadés de l'écrasante supériorité de notre artillerie et de notre aviation, nous nous représentions naïvement la campagne comme une promenade militaire, une succession de victoires faciles et éclatantes. [... ] Sous l'averse de fer et de feu on sent la même impuissance qu'en présence d'un effroyable cataclysme de la nature. A quoi peuvent nous servir nos grenades et nos petits fusils contre cette avalanche de terre et de mitraille ? A quoi nous sert notre courage ? Un homme se défend-il contre le tremblement de terre qui va l'engloutir ? Tire-t-on des coups de fusils contre un volcan qui vomit sa lave enflammée [... ] Le coup de tonnerre de tout à l'heure en nous révélant l'effroyable disproportion entre les engins de mort et les petits soldats, dont le système nerveux n'est pas à la hauteur de telles secousses, nous a fait brusquement comprendre que la lutte qui commence serait pour nous une terrible épreuve. »
En rase campagne 1914. Un hiver à Souchez 1915-1916, Paris, Berger Levrault, 1917, pp. 41-46
En bref ...
Organisation et dossier : Daniel-Paul Lobreau, agrégé d'histoire.
Ont apporté leur concours à cette commémoration : |
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- les professeurs d'histoire-géographie : | - les professeurs de lettres : |
* Mme Monique Gouzot * M. Raymond Jolimay * M. Régis Robinet |
* Mme Sylvette Cau dit Coumes * Mme Chantal Perdriat * Mme Frédérique Poullet * Mme Marie-Hélène Toulon |
- Mme Gervais, attachée gestionnaire. |
Vous avez participé à ce projet en son temps ? Racontez-nous votre expérience. Tout nous intéresse ... |
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